mardi 29 septembre 2009

"Wyllt" de Black Math Horseman : un hiératisme rock rare

Voix de femme contenue, réverbérée, basse et lancinante, utilisée à la même hauteur que les autres instruments, voire parfois en retrait, un élément d'ambiance, mais monte peu à peu au cours de l'album jusqu'à violemment percer la limite qu'elle s'était imposée, et exploser en cris de rage et incantations hiératiques découpées sur le dernier morceau de l'album, "Bird of All Faiths and None/Bell from Madrone". Un des meilleurs morceaux de rock qu'il m'ait été donné d'entendre depuis longtemps.

Il y a pas mal d'histoires que je pourrais raconter. L'un d'entre elles, classique, serait l'étonnement toujours renouvelé de voir de mauvais groupes, de la mauvaise musique, de faux artistes, faire la couverture des magazines, être invité sur des plateaux télés, être l'objet de blogs passionnés dans toutes les langues, et quand un groupe sort ENFIN quelque chose de différent, hors du lot, personne ou presque ne le remarque (aucun article en France à ma connaissance sur Black Math Horseman), car les gens ne s'intéressent en fait pas à la musique, mais aux petites histoires que l'on raconte autour, ils focalisent sur les signes extra-musicaux (un visage, un scandale, une anecdote, un vêtement, un âge, un "parcours").
Je n'ai jamais vu le visage des quatre musiciens de Black Math Horseman, dont j'ai croisé la musique sur Internet. J'entends juste un batteur, une bassiste-vocaliste et deux guitaristes, tous concentrés sur leurs instruments, concentrés sur leur jeu, jusqu'à la tension, la crispation, la contention, l'explosion, le reflux, le retour, l'entremêlement jusqu'à la torsion se résolvant en brèves libérations fulgurantes.
Une musique simple, électrique, sentie, avançant, tissant, ne renonçant jamais à son projet, n'abattant pas toutes ses cartes tout de suite, mais les abattant peu à peu, au fur et à mesure de l'album, jusqu'au long morceau final jouant méthodiquement et sans précocité une à une des cartes dévoilant une maîtrise, un sens, une méthode sachant approfondir et aiguiser les émotions jusqu'aux larmes, jusqu'à la souveraineté et le vrai silence des ondes mises en forme dans l'espace-temps pour en accentuer et donner à voir la vérité.
Quand une musique rend l'espace-temps plus vrai, on ne l'entend plus, elle s'efface, elle a réussi son équation, son sortilège, elle n'est qu'un moyen pour nous faire passer ailleurs. Certaines musiques, si nous les accueillons, nous ouvrent à une vérité plus palpable pendant quelques instants, réveillant nos antennes endormies, nos capteurs sensitifs inutilisés à force de craindre la douleur : une aube d'équations et de symétries dévoilant de nouveaux angles, réveillant des figures, créant des cérémonies mentales, regonflant les veines de sentiments craints et délaissés, sentiments se révélant non pas nocifs mais puissants, animaux, psychédéliques et vitaux, comme une rouille et une pourriture émergeant en sculptures au cœur d'une forêt, comme des peintures tatouant des montagnes jusqu'à se matérialiser en dimensions d'où se lèvent des créatures, des végétaux, des plasticités, des creux, des chemins, un réseau de veines inconnues soudainement rendu visible par l'afflux d'un sang de pétrole miroitant s'épanouissant en virages, loopings, courbes, ruisseaux, angles durs et montées coupées à 90°, 180°, 270° : une recréation du sentiment de toutes les possibilités de la matière par les ondes, n'hésitant pas à passer par les douceurs et les coups de poignards, les guérisons et les réouvertures de blessures comme dans l'une de ces casses de voitures où métal, terre et plastique s'épanouissent en fleurs jamais vues et jamais pensées, parmi la pluie, les reptiles, les arcs-en-ciel d'essence, les insectes et les canettes de sodas multicolores se déversant de machines et distributeurs éventrés.

Votre nouvelle drogue sera "Wyllt" de Black Math Horseman : fermez les portes, fermez les yeux, éteignez la lumière et surtout mettez le son bien fort.